publié par Aleteia

Mathilde de Robien - publié le 30/05/23


Le Dicastère pour la Communication a publié le 29 mai 2023 un document intitulé "Vers une présence totale" livrant une réflexion sur une utilisation chrétienne des réseaux sociaux, en donnant notamment pour modèle le Bon Samaritain.

"Vers une totale présence": un document pour résister à «l’algorythmocratie»

Le Bon Samaritain, cet homme bon qui fut « saisi de compassion » à la vue d’un homme laissé pour mort par des bandits puis par un prêtre et un lévite (Lc 10, 25-37), peut influencer positivement nos comportements sur les réseaux sociaux. Même si aujourd’hui il ne s’agit plus de la route de Jéricho mais plutôt d’ »autoroutes numériques » telles que Facebook, TikTok ou Instagram, l’enjeu de la rencontre avec son prochain demeure le même. « La parabole peut inspirer les relations sur les réseaux sociaux parce qu’elle montre la possibilité d’une rencontre profondément significative entre deux parfaits inconnus », indique en préambule le texte Vers une présence totale. Une réflexion pastorale à propos de l’engagement sur les réseaux sociaux publié le 29 mai et signé par Paolo Ruffini, préfet du dicastère pour la Communication, et par Mgr Lucio Ruiz, secrétaire du même dicastère. Un document de vingt pages invitant à réfléchir à la manière de « vivre dans le monde numérique en tant que “proches aimants”, véritablement présents et attentifs les uns aux autres ».

Le texte, traduit en cinq langues, s’adresse à tous les internautes. « Nous devrions tous prendre notre “influence” au sérieux. Il n’y a pas que des macro-influenceurs à large audience, mais aussi des micro-influenceurs. Tout chrétien est un micro-influenceur ». En résulte une attitude chrétienne, à l’image de celle du Bon Samaritain, que chacun peut adopter lorsqu’il publie, aime ou commente une publication sur les réseaux.

1 - Se demander qui est son prochain sur les réseaux sociaux

De la même manière que la parabole du Bon Samaritain invite à répondre à la question : « Qui est mon prochain ? », le texte exhorte à se demander qui est son prochain sur les réseaux. « Le long des “autoroutes numériques”, de nombreuses personnes sont blessées par la division et la haine. Nous ne pouvons pas faire comme si cela n’existait pas. Nous ne pouvons pas être de simples passants silencieux », alertent les responsables du Dicastère.

Reconnaître son « prochain » numérique signifie « reconnaître que la vie de chaque personne nous concerne ». Cela va plus loin que de scroller un fil d’actu ou de liker une photo, qui ne permettent pas « d’entrer en contact direct avec la détresse, l’inquiétude, la joie de l’autre et avec la complexité de son expérience personnelle ». « Être proche sur les réseaux sociaux, résume le document, c’est être présent aux histoires des autres, en particulier de ceux qui souffrent ».

2 - Se méfier de l’entre-soi et de l’indifférence

Les algorithmes des plateformes ont cette capacité à mettre en relation les utilisateurs selon leurs caractéristiques particulières, leurs goûts, leurs centres d’intérêt… Le revers de la médaille est de créer des communautés de personnes similaires, empêchant de « rencontrer réellement “l’autre” qui est différent ». Le risque, c’est que peut naître de ces regroupements l’indifférence aux autres, comme celle du prêtre et du lévite de la parabole. Or « se replier dans l’isolement de ses propres intérêts ne peut pas être le moyen de redonner espoir. Au contraire, la voie à suivre est de pratiquer une “culture de la rencontre”, qui promeut l’amitié et la paix entre les différentes personnes », engage le Dicastère. Pour ce dernier, il y a urgence à imaginer une autre utilisation des réseaux, en allant « au-delà de ses propres silos, en sortant du groupe de ses “semblables” pour rencontrer les autres ».

3 - Écouter et avoir un minimum de compassion

Écouter est le premier pas pour aller à la rencontre de l’autre. « Une bonne communication commence par l’écoute et la prise de conscience qu’une autre personne est devant moi. » Ainsi l’écoute et cette prise de conscience visent à favoriser la rencontre et à surmonter les obstacles, notamment celui de l’indifférence. « Écouter est une étape essentielle pour engager le dialogue avec les autres ». Pourtant il n’y a pas de dialogue entre l’homme blessé et le Samaritain. Pour le Dicastère, il s’agit d’écouter avec « l’oreille du cœur », c’est-à-dire nous ouvrir à l’autre avec tout notre être. C’est cette ouverture du cœur qui rend possible la proximité.
Le Bon Samaritain n’a pas vu l’homme battu comme un « autre », mais comme quelqu’un qui avait besoin d’aide. « Il a ressenti de la compassion, se mettant à la place de l’autre; et il a donné de lui-même, de son temps et de ses ressources pour écouter et accompagner quelqu’un qu’il avait rencontré ». C’est l’attitude à laquelle il invite tous les internautes. Il invite à faire le premier pas et à voir la valeur et la dignité de chacun.

4 - Prendre part à des communautés favorisant la « proximité numérique »

Le Bon Samaritain, attentif et ouvert à la rencontre du blessé, est incité par la compassion à agir et à prendre soin de lui. Il soigne les blessures de la victime et l’emmène dans une auberge pour lui assurer des soins. « De même, nos envies de faire des réseaux sociaux un espace plus humain et relationnel doivent se traduire par des attitudes concrètes et des gestes créatifs. »

Le partage d’idées est nécessaire, mais les idées seules ne fonctionnent pas ; elles doivent devenir « chair ». Le Samaritain « ne se limite pas à ressentir de la pitié ; il ne se limite même pas à panser les blessures d’un étranger. Il va plus loin, emmenant le blessé dans une auberge et organisant la poursuite de ses soins », poursuit le document.

Comment cela se traduit-il dans le contexte numérique ? Le Dicastère donne l’exemple de « communautés de soins » qui se rassemblent pour soutenir les uns en cas de maladie, les autres en cas de deuil, ou des communautés qui aident financièrement une personne dans le besoin ou encore qui apportent un soutien social et psychologique.

5 - Instaurer des temps de déconnexion

Le document insiste sur la nécessité de prendre des temps de silence, loin de son téléphone, afin de privilégier les relations avec ses proches et développer une vie intérieure. « Sans le silence et l’espace pour penser lentement, profondément et de manière ciblée, nous risquons de perdre non seulement nos capacités cognitives, mais aussi la profondeur de nos interactions, tant humaines que divines. »

Le silence peut ici être comparé à une « désintoxication numérique », « qui n’est pas simplement une abstinence, mais plutôt un moyen d’établir un contact plus profond avec Dieu et avec les autres ».

6 - Communiquer la vérité

Le Dicastère invite à faire preuve de prudence sur les réseaux et à prendre le temps de discerner les fakes news. « Pour communiquer la vérité, nous devons d’abord nous assurer que nous transmettons des informations véridiques; non seulement quand nous créons du contenu, mais aussi quand nous le partageons. Nous devons nous assurer que nous sommes une source fiable. »

En outre, le document souligne l’importance des contenus : « Pour communiquer le bien, nous avons besoin d’un contenu de qualité, d’un message qui vise à aider, pas à nuire ; à promouvoir l’action positive, pas à perdre du temps en discussions inutiles. »

7 - Raconter une histoire plutôt qu’argumenter

Pour le Dicastère, une histoire vaut mieux qu’une longue argumentation sur Twitter. A l’instar de Jésus qui racontait des paraboles, raconter une histoire permet de répondre de manière complète et positive. « Les histoires fournissent un contexte de communication plus complet que ce qui est possible dans des publications ou des tweets tronqués. (…) Plus “incarnées” qu’un simple argument et plus complexes que les réactions superficielles et émotionnelles souvent rencontrées sur les plateformes numériques, elles contribuent à restaurer les relations humaines en offrant aux gens la possibilité de transmettre leurs histoires ou de partager celles qui les ont transformés. »

8 - Être réfléchi et non réactif

Le Dicastère met en garde contre la publication de contenus « susceptibles de provoquer des malentendus, d’exacerber les divisions, d’inciter aux conflits et d’approfondir les préjugés ». Outre la prudence nécessaire avant de publier des contenus, il y aurait aussi un style chrétien à adopter sur les réseaux : « Le style chrétien sur les réseaux sociaux doit être réfléchi et non réactif. »

« Nous, chrétiens, devrions être connus pour notre disponibilité à écouter, à discerner avant d’agir, à traiter tout le monde avec respect, à réagir par une question plutôt que par un jugement, à garder le silence au lieu de déclencher une polémique et à être “prompt à entendre, lent à parler, lent à se mettre en colère” (Jc 1.19). » Une véritable feuille de route.

9 - Témoigner de la joie que le Seigneur nous donne

« Nous ne sommes pas présents sur les réseaux sociaux pour “vendre un produit”. Nous ne faisons pas de publicité, mais nous communiquons la vie, la vie qui nous a été donnée. » Par conséquent, chaque chrétien est appelé à témoigner. Une manière de devenir des disciples missionnaires en ligne. « La foi signifie avant tout témoigner de la joie que le Seigneur nous donne. »

En ce sens, la première influenceuse fut la Vierge Marie. « Dire aux autres la raison de notre espérance et le faire avec douceur et respect (1 Pt 3:15) est un signe de gratitude. C’est la réponse de quelqu’un qui, par gratitude, est rendu docile à l’Esprit et donc libre. Ce fut le cas pour Marie qui, sans l’avoir voulu ni avoir essayé, est devenue la femme la plus influente de l’histoire. »

Une joie partagée qui peut provoquer de la curiosité, ou un questionnement chez les autres. C’est tout ce que le Seigneur nous demande. « Suivant la logique de l’Évangile, tout ce que nous avons à faire, c’est provoquer une question pour éveiller la recherche. Le reste est l’œuvre cachée de Dieu. »